Brèves en pharmacovigilance n°32
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SOMMAIRE
Editorial
MEDIATOR : quelles leçons tirer à l’échelon de notre région ?
Littérature
Interaction hypolipémiants / antivitamines K
A suivre…
Sitagliptine et pancréatite
Vos questions
Est-il possible d’instaurer un traitement par Humira® (adalimumab) en cas d’allergie au Rémicade® (infliximab) ?
Vitamine D à forte dose : une multiplication des ordonnances chez l’adulte et le sujet âgé
Vos observations
5 FU et douleurs thoraciques
Entacapone pneumopathie interstitielle
Ont participé à la réalisation
de ce numéro :
J. Caron
S. Gautier
S. Deheul
J. Dekemp
A. Herlemont
A. Lachor
Marine Auffret
J. Bene
J. Pamart
EDITORIAL –
MEDIATOR : quelle leçon tirer à l’échelon de notre région ?
Comment ne pas évoquer dans cet éditorial le débat autour du benfluorex
(MEDIATOR®) et la survenue de valvulopathies chez des patients ayant utilisé ce
médicament dans le cadre d’un diabète ou d’une dyslipémie ou, hors AMM, à visée
amaigrissante. Beaucoup de questions sont en effet posées par les médias sur
l’efficacité du système de pharmacovigilance et notamment sur la difficulté à valider les
signaux repérés en pharmacovigilance, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’effets indésirables
correspondants à des pathologies fréquentes.
En 1998, lorsqu’il est établi qu’un métabolite du benfluorex est la norfenfluramine,
métabolite commun avec la fenfluramine (PONDERAL) et la dexfenfluramine
(ISOMERIDE) – molécules anorexigènes ayant été retirées en 1997 en raison de la
survenue de valvulopathies – les pharmacovigilants s’interrogent d’emblée sur la
pertinence de cette donnée pharmacocinétique, celle-ci n’étant étayée par aucune
donnée clinique.
A posteriori, on peut sûrement regretter à cette époque un manque de communication
et de sensibilisation envers les professionnels de santé sur les interrogations présentes
et sur un risque potentiellement cardiaque du benfluorex. Cette sensibilisation sur ce
risque potentiel aurait probablement permis de pallier une des principales faiblesses
des systèmes de pharmacovigilance liée à la sous-notification des effets indésirables. En
effet, s’il est fait obligation à un professionnel de santé de déclarer un effet indésirable
médicamenteux qu’il observe, encore faut-il qu’il ait connaissance des interrogations en
pharmacovigilance et l’on est en droit de penser qu’une communication efficace auprès
des professionnels de santé concernant le métabolite du MEDIATOR aurait pu amener à
une attention particulière envers les patients traités par MEDIATOR et permis une mise
en évidence et une validation beaucoup plus précoces du signal. La première
observation validée et indiscutable de valvulopathie sous benfluorex intervient
seulement en France en 2006.
Même s’il est toujours facile de réécrire l’histoire une fois qu’elle s’est déroulée, il n’en
reste pas moins qu’une bonne communication entre professionnels de santé, centres
régionaux de pharmacovigilance et autorités de santé (et notamment l’Afssaps), est la
clé d’une bonne pharmacovigilance et que très certainement « l’affaire benfluorex »
aurait pu être mieux gérée si les professionnels de santé avaient été sensibilisés au
risque cardiaque potentiel de ce produit. C’est en l’occurrence l’objectif que nous
essayons d’atteindre en rédigeant ces brèves : vous informer…
Si vous désirez recevoir régulièrement et gratuitement
les Brèves en Pharmacovigilance,
écrivez-nous en précisant vos coordonnées
ou envoyez-nous un e-mail (crpv@chru-lille.fr).
Brev Pharmacovig 2010 ; juillet – décembre ; 32 2
Brèves de la Littérature :
Interaction hypolipémiants / antivitamines K
L’association des hypolipémiants (fibrates et
certaines statines) et des antivitamines K (AVK) fait
l’objet de nombreuses publications en raison
d’interactions pharmacocinétiques susceptibles de
majorer le risque hémorragique. L’Afssaps, dans
son Thésaurus interaction 2009, en fait d’ailleurs
une précaution d’emploi et recommande un
contrôle plus fréquent de l’INR.
La plupart des publications concernant ce sujet
étant des cas rapportés, l’étude qui vient d’être
récemment publiée prend toute son importance
(1). Il s’agit d’une étude cas-témoins, menée de
1999 à 2003 à partir des registres Medicaid
(système de santé nord-américain pour les
défavorisés), qui s’est intéressée au lien entre
l’initiation d’un traitement hypolipémiant chez des
patients traités par warfarine (COUMADINE®). La
warfarine, AVK le plus utilisé outre-Atlantique,
était dans cette étude utilisée au long cours et le
risque d’hémorragie gastro-intestinale conduisant
à une hospitalisation a été étudié.
Cette étude est la première à montrer que
l’initiation d’un traitement par un fibrate ou une
statine métabolisés par le cytochrome CYP3A4
(fénofibrate, gemfibrozil, fluvastatine, simvastatine
et atorvastatine) augmente le risque d’hémorragie
gastro-intestinale chez les patients traités par
warfarine : odds ratio (OR) de 1.96 avec le
gemfibrozil (IC 95% : 1.19-3.25) ; de 1.33 avec la
simvastatine (IC 95% : 1.00-1.78) ; de 1.29 avec
l’atorvastatine (IC 95% : 1.04-1.61). Les données
sont insuffisantes pour permettre une analyse
avec le fénofibrate et la fluvastatatine. Le
mécanisme de ces interactions n’est pas
clairement identifié : sont évoqués d’une part une
diminution de la fixation de l’anticoagulant oral
aux protéines plasmatiques pour les fibrates, et
d’autre part une diminution de la métabolisation
de la warfarine par une action inibitrice au niveau
du CYP3A4. La pravastatine, quant à elle, n’est pas
métabolisée par les enzymes du cytochrome P450
et est donc logiquement peu susceptible d’inhiber
le métabolisme de la warfarine. Ainsi, dans cette
étude, le risque hémorragique avec la pravastatine
est non significatif (0.66, IC 95% 0.33-1.14).
Même si cette étude ne concerne que la warfarine,
une interaction de même nature n’est pas à
écarter avec les AVK utilisés en France, que ce soit
avec l’acénocoumarol (SINTROM®), appartenant
à la même famille « coumarinique » que la
warfarine, mais aussi avec la fluindione
(PREVISCAN®) de la classe des « indanediones »,
et la recommandation de l’Afssaps apparaît ainsi
raisonnable.
(1) Am J Med 2010;123:151-7.
A suivre… Sitagliptine et pancréatite
La sitagliptine (présente dans le JANUVIA® et dans
le VELMETIA® où elle est associée à la
metformine) est un antidiabétique oral, inhibiteur
de la DPP-4 (dipeptidyl-peptidase-4), enzyme de
métabolisation du Glucagon Like Peptide-1 (GLP-
1), une incrétine qui stimule la sécrétion
d’insuline et inhibe celle du glucagon. La
sitagliptine fait donc partie de la classe des
inhibiteurs de la DPP-4, encore appelée
« incrétinopotentiateurs ».
En septembre 2009, la FDA a émis un
communiqué faisant état du risque de pancréatite
lors de l’utilisation de la sitagliptine. En effet, 88
cas de pancréatites aiguës ont été rapportés
entre octobre 2006 et février 2009 chez des
patients recevant le produit seul ou en
association à la metformine. Dans 47 cas, la
pancréatite a été résolutive à l’arrêt de la
sitagliptine. En France, la base nationale de
pharmacovigilance retrouve 4 cas de pancréatites
aiguës sous sitagliptine seule.
Etant donné que la sitagliptine agit sur les mêmes
voies que l’exénatide (BYETTA®),
incrétinomimétique analogue du GLP-1 pour
lequel le risque d’apparition de pancréatite est
reconnu, cet effet indésirable est à garder en
mémoire, en étant particulièrement attentif en
début de traitement ou lors de l’augmentation de
la posologie.
Si vous observez un effet indésirable grave et/ou
inattendu ou si vous désirez un renseignement sur
un médicament :
N’hésitez pas à nous contacter :
: 03-20-96-18-18
: 03-20-44-56-87
: crpv@chru-lille.fr
Brev Pharmacovig 2010 ; juillet – décembre ; 32 3
Vos questions : Est-il possible d’instaurer un traitement par Humira® (adalimumab) en cas d’allergie au
Rémicade® (infliximab) ?
L’infliximab et l’adalimumab sont deux anticorps monoclonaux inhibiteurs du TNFα. Le premier est un anticorps chimérique
murin/humain et le second un anticorps humain.
Des réactions d’hypersensibilité immédiate ou retardée sont classiquement décrites dans les différentes monographies des
anti-TNFα. Leurs survenues contre-indiquent, dans la majorité des cas, la poursuite du traitement en raison de leur gravité
potentielle.
La littérature rapporte cependant plusieurs cas d’introduction avec succès de l’adalimumab après une réaction allergique à
l’infliximab (1, 2, 3). Les anticorps anti-infliximab engendrés au cours de la réaction allergique sont spécifiques à l’infliximab et
ne semblent pas être à l’origine de réactions croisées avec les autres anticorps monoclonaux (4). De plus, l’adalimumab ne
possède pas de protéines murines, ce qui le rend moins immunogène que l’infliximab (5).
Au total, l’utilisation d’un nouvel anti-TNFα après la survenue d’une réaction allergique à un premier semble être possible.
L’introduction doit cependant être réalisée avec prudence sous surveillance médicale étroite, voire éventuellement au cours
d’une hospitalisation de jour.
(1) Rheumatol Int. 2009, published online Oct 9 ; (2) Inflamm Bowel Dis. 2004;10:333-8 ; (3) Eur J Gastroenterol Hepatol. 2004;16:627-30 ;
Vos questions : Vitamine D à forte dose : une multiplication des ordonnances chez l’adulte et le sujet âgé
Depuis quelques temps, plusieurs pharmaciens nous ont interrogés devant des prescriptions d’UVEDOSE® (vitamine D3 à
100 000 UI) à des posologies très importantes et fréquentes chez des personnes adultes et/ou âgées.
Les effets de la vitamine D (et du calcium) en traitement d’appoint de l’ostéoporose en cas de carence confirmée sont
connus. De nombreuses autres propriétés « bénéfiques » seraient par ailleurs attribuées à la vitamine D, sur la fonction
musculaire, les cancers, le système immunitaire et la fonction cardiovasculaire1.
Peu d’aliments courants apportent de la vitamine D et c’est essentiellement sous l’influence d’une exposition solaire que la
vitamine D est synthétisée chez l’homme. La prévalence du déficit en vitamine D est effectivement plus élevée dans les
régions peu ensoleillées et une étude française,2 réalisée chez des personnes âgées de 35 à 65 ans, a montré que la
prévalence de l’hypovitaminose D était de 29% dans la région Nord contre 9% en Rhône Alpes, 7% sur la côte
méditerranéenne, et 0% dans le Sud Ouest.
Plus récemment4, un groupe d’experts a défini l’insuffisance en vitamine D par une valeur de 25 OHD (25-hydroxyvitamineD)
inférieure à 30 ng par ml. Selon la période de l’année et pour les pays de l’Europe, 50 à 100% des individus seraient ainsi en
déficit en vitamine D et les apports préconisés en vitamine D, de 1000 UI/j chez la personne âgée de plus de 65 ans,
apparaissent insuffisants. Un protocole de correction de l’insuffisance en vitamine D, suivi d’un traitement « d’entretien », a
été proposé en fonction de la concentration sérique de 25OHD. Ce protocole, basé en partie sur les propositions de Holick3,
préconise l’utilisation d’ampoules de vitamine D3 à 100 000 UI toutes les 2 semaines pendant 2 mois au maximum, pour
corriger le déficit, puis l’utilisation d’une supplémentation quotidienne ou de fortes doses de vitamine D3, de manière
espacée, pour maintenir un taux correct de vitamine D.
Lors de telles supplémentations, il devient bien entendu légitime de se poser la question d’un éventuel surdosage en
vitamine D, représenté notamment par un risque d’hypercalcémie et d’hyperphosphatémie, mais aussi par une toxicité
rénale potentielle avec risque de lithiase et de néphrocalcinose. Cette situation semble toutefois rare, les différentes revues
de la littérature suggérant un risque pour des concentrations de 25OHD > 150 ng/ml. Par ailleurs, aucune complication n’a
été rapportée dans une étude de suivi pendant 5 ans, de patients supplémentés en vitamine D à raison de 100 000 UI tous les
4 mois 4 ou de 10 000 UI par jour pendant 5 mois3.
Compte tenu de ces données, la prescription de fortes doses de vitamine D risque donc d’être de plus en plus répandue, et le
pharmacien fréquemment confronté à de telles prescriptions.
1 Revue francophone des Laboratoires Volume 2009 ; 414 : 31-9
2 Osteoporos Int 1997; 7:439-43
3 N Engl J Med 2007; 357:266-81
4 BMJ. 2003; 1 :326-469.
Brev Pharmacovig 2010 ; juillet – décembre ; 32 4
Vos observations :
5 FU et toxicité cardiaque
Un homme âgé de 54 ans est hospitalisé en avril
2010 pour des douleurs thoraciques survenues 24
heures après une première cure de chimiothérapie
par 5-fluorouracile (5FU) et carboplatine dans un
contexte de cancer de la vessie. Il a des
antécédents d’intoxication alcoolo-tabagique, de
pancréatite, et de diabète de type II, pour lesquels
il est traité par INEXIUM®, CREON® et insuline. Au
cours de son hospitalisation, alors qu’initialement
un diagnostic de douleurs angineuses avait été
évoqué, un diagnostic de myocardite sera
finalement retenu.
Nos commentaires
Le 5FU est un antimétabolite, analogue des bases
pyrimidiques, utilisé dans de nombreux protocoles
de chimiothérapie. Le plus souvent, la
cardiotoxicité du 5FU conduit à des complications
cardiaques à type d’anomalies isolées de l’ECG
intéressant principalement le segment ST, de
troubles du rythme (notamment ventriculaires),
d’angine de poitrine, et d’infarctus du myocarde.
Des cas de myocardites sont plus rarement décrits,
confirmés néanmoins histologiquement pour
certains d’entre eux.
L’incidence de cette cardiotoxicité serait de 1.6 et 9
% selon les études (et même 68% pour une
étude !). Cette toxicité se caractérise souvent par la
survenue d’une douleur thoracique aiguë d’allure
angineuse. Cette douleur, parfois frustre dans son
expression, survient généralement dès la première
cure, le plus souvent pendant ou quelques heures
après la fin de la perfusion et jusque dans les 2 à 3
jours qui suivent. Plus rarement, ces atteintes
peuvent survenir après plusieurs cycles de
traitement, sans signe cardiaque avant-coureur
lors des cycles précédents.
Le mécanisme d’action de ces atteintes cardiaques
n’est par clairement élucidé (1). Il ferait intervenir
principalement un spasme coronaire à l’origine
d’une ischémie ou même parfois d’une nécrose
myocardique. Les myocardites pourraient quant à
elles être la conséquence d’une toxicité
métabolique myocardique ou être liées à une
réaction d’hypersensibilité.
La survenue de tels symptômes impose l’arrêt du
traitement en l’absence de toute autre alternative.
En effet, les tentatives de réintroduction se soldent
par la récidive des symptômes dans 82 % des cas,
le plus souvent de manière plus intense et plus
précoce (2). Dans le cas de douleurs angineuses,
un traitement anti-angineux, notamment
antispastique par dérivés nitrés et/ou inhibiteurs
calciques, ne permet habituellement pas de
prévenir la récidive des symptômes lors d’une
nouvelle administration du 5FU.
(1) Cardiol Angiol. 2005;54:216-9 ; (2) JACC 2009 ;53 :2231-47
Entacapone et pneumopathie
Un homme âgé de 81 ans développe une
pneumopathie interstitielle 1 mois après avoir
débuté un traitement par STALEVO® (association
de lévodopa, carbidopa et entacapone). Le
STALEVO® est arrêté pour être remplacé par du
MODOPAR® (association de lévodopa et
bensérazide). L’état pulmonaire du patient
s’améliore alors nettement et rapidement. Avant
d’être traité par STALEVO®, le patient avait déjà
reçu du MODOPAR® et n’avait jamais présenté de
troubles pulmonaires.
Nos commentaires
L’entacapone est un inhibiteur sélectif et
spécifique de la catéchol-O-méthyl transférase,
et est administrée en association à la L-dopa afin
d’éviter son catabolisme périphérique en 3-Ométhyl
dopa.
Quatre cas de fibrose pulmonaire ont été
rapportés durant le développement clinique de
l’entacapone(1). La durée de traitement dans ces
quatre cas allait de 7 à 17 mois mais tous les
patients étaient également traités par
pergolide(3) ou bromocriptine(1), agonistes
dopaminergiques dérivés de l’ergot de seigle
pour lesquels des atteintes pulmonaires à type de
fibrose pleuro-pulmonaire et d’épanchements
pleuraux sont bien décrites. La toxicité
pulmonaire de l’entacapone n’apparaissait donc
pas en cause dans ces dossiers.
Cette pneumopathie interstitielle (et non de
fibrose pulmonaire) en présence d’entacapone,
apparue rapidement après le début du
traitement, mérite à notre avis d’être gardé en
mémoire puisque le patient ne recevait pas
d’agoniste dopaminergique dérivé de l’ergot de
seigle au moment de l’atteinte pulmonaire. En
effet, la chronologie d’apparition et de
disparition des symptômes est évocatrice de la
responsabilité de cette molécule pour laquelle
aucune atteinte pulmonaire n’est retrouvée dans
la littérature.
(1) PDR 2009 63ème édition ; p 2211
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